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Type de textesource
TitreL\'Art poetique françois, où l\'on peut remarquer la perfection et le defaut des anciennes et des modernes poësies
AuteursVauquelin de la Fresnaye, Jean
Date de rédaction
Date de publication originale1605
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(I, v. 1045-1130), p. 60-64

De ce beau iugement un exemple se voit,

Quand Polignot, Scopas, et Diocle (qu’on croit

Trois peintres excellens auoir des leur bas aage

Payé sous Apelles le droit de l’écollage)

Entreprindrent chacun de tirer curieux

Le Roy borgne Antigone, à qui feroit le mieux.

Polignot lors estant à son art tout fidelle,

Bien qu’il sceust que le Roy portast haine mortelle

A ceux qui se moquoient de son œil arraché,

Toutefois sans respect de l’en rendre fasché,

Marchant par le chemin des peintres ordinaire,

Le Roy borgne et hideux au vray va contrefaire :

De sorte qu’il sembloit avec son œil osté

Estre en l’image mort mieux qu’au vif rapporté.

Mais Scopas plus craintif n’ayant pas osé peindre

Le roi tel qu’il estoit : ni ne voulant enfraindre

Les regles de son art, il le peignit moins vieux,

Tel qu’il estoit alors qu’il avait ses deux yeux :

Son pinceau deslié rapportoit chose vraye,

Antigone n’ayant encor reçu la playe

Qui luy fist perdre l’œil. Ce pourtrait bien tiré

Semblable à ceux du temps de tous fut admiré.

Scopas par ce moyen se pensa digne d’estre

De ses deux compagnons le premier et le maistre

Pouvant se conserver en la grace du roi

Avecque le renom que l’Art tire après soy.

Mais Diocle d’ailleurs desseignant mesme chose

Que Polignot faisoit, en l’ame se propose

Ne voulant se jouer à ce prince airêteux,

Ni suivre de son art le plus commun usage,

Ni trop flater le Roy par un lasche courage :

Ains suivant du moyen le sentier asseuré,

Avecques un espoir du laurier esperé

Il peignit en profil d’Antigone la face :

Dont le tableau couvroit, d’ombre de bonne grace

Une part du visage : et son œil emporté

En droite ligne estoit couvert de ce costé,

Tant qu’avecques bien peu de soigneux artifice,

En l’ombre se cachoit de son œil tout le vice : 

Et l’outreplus si bien le Roy représentoit,

Que le Roy si semblable à luy mesme n’estoit.

Quand au iour arresté les trois se rencontrerent,

Et leurs tableaux au Roy chacun à part montrerent :

Le Roy voyant celuy de Polignot, soudain,

Conceut en son esprit un superbe dedain,

Pensant lors recevoir un affront, un outrage

De se voir peint ainsi d’un si hideux visage,

Des l’heure le faisant hors de sa court chasser,

Et hors de son royaume en autre endroit passer :

Par ce que la prudence il avoit par envie,

A son art glorieux trop malin asservie :

Art dont il haussoit plus la basse qualité

Que de l’honneur royal la haute dignité.

Le tableau de Scopas à tous fut agreable

Pour rapporter au vrai cet aage favorable

Auquel fut Antigone au beau may de ses ans,

Ayant encor ses yeux amoureux et plaisans :

Toutefois au visage une rougeur luy monte,

Qui naturelle fait qu’il semble qu’il ait honte

D’avoir esté trompé par le pinceau menteur,

Qui trop ieune l’a fait dans son tableau flateur :

La façon de flater est douce et delicate

Quand point elle n’importe à celuy que l’on flate :

Mais celle la depleut à sa simple bonté,

Et le voulut chasser comme un homme ehonté.

A l’heure Diocles son tableau luy presente

Qui des le premier front tout le monde contente :

Et sur tous Antigone en fut fort satisfait :

Luymesme remarquant le iugement parfait

De ce peintre modeste, ayant plustost laissee

La grandeur de son art par sa gloire abaissee

Que de manquer prudent à l’avis temperé

Qui de l’extremité rend l’erreur moderé,

Et pour ne sembler pas aimer la courtoisie

Qui par un noble choix des nobles est choisie.

De sorte que voyant le defaut du pourtrait

Du visage en profil en epargne retrait,

Il semblait qu’à dessein cette petite espace

Plustost qu’une plus grande adjoutast de la grâce

A ce que cachoit l’ombre : et le Roy de costé

Mieux que parlant estoit muet representé.

Antigone depuis luy fist de l’auantage

Autant que meritoit le prix de cet ouvrage

Et luy fist reconnoistre en prenant le tableau

Qu’il payoit son esprit plustost que son pinceau.

Dans :Apelle, le portrait d’Antigone(Lien)

, v. 191-204

C’est un art d’imiter, un art de contrefaire

Que toute poësie, ainsi que de pourtraire,

Et l’imitation est naturelle en nous :

Un autre contrefaire il est facile à tous ;

Et nous plaist en peinture une chose hideuse,

Qui seroit à la voir en essence facheuse.

Comme il fait plus beau voir un singe bien pourtrait :

Un dragon écaillé proprement contrefait,

Un visage hideux de quelque laid Thersite,

Que le vray naturel qu’un sçavant peintre imite :

Il est aussi plus beau voir d’un pinceau parlant

Dépeinte dans les vers la fureur de Roland,

Et l’amour forcené de la pauvre Climene,

Que de voir tout au vray la rage qui les mene.

Tant s’en faut que le beau, contrefait, ne soit beau,

Que du laid n’est point laid, un imité tableau :

Car tant de grace avient par cette vray-semblance,

Que surtout agreable est la contrefaisance.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, v. 205-238

Donc s’un peintre avoit peint un beau visage humain,

Y ioignant puis après d’un trait de mesme main,

Un haut col de cheval dont l’estrange figure

D’un plumage divers bigarrast la nature,

Et qu’ores qu’une beste, et qu’ores qu’un oyseau

Il adioutast un membre à ce monstre nouveau,

Ses membres assemblant d’une telle ordonnance,

Que le bas d’un poisson eust du tout la semblance,

Et le haut d’une femme, ainsi qu’on dit qu’estoient

Celles qui les nochers de leur voix arrestoient :

Sire, venant à voir ce monstre de Sirene,

De rire que ie croy vous vous tiendriez à peine.

Croyez ô mon grand Roy qu’en ce tableau divers,

Semblable vous verrez un beau livre en ces vers,

Auquel feintes seront diverses Poësies,

Comme au chef d’un heureux sont mille fantasies :

De sorte que le bas ni le sommet aussi

Ne se rapporte point à mesme sorte icy :

Toutesfois tout le corps des figures dépeintes

Donnent un grand plaisir ainsi qu’elles sont feintes :

Ce sont des vers muets que les tableaux de prix,

Ce sont tableaux parlants que les vers bien écris.

Le peintre et le poëte ont gagné la puissance

D’oser ce qui leur plaist, sans faire à l’Art nuisance :

Au moins nous recevons cette excuse en payment,

Et la mesme donnons aux autres mesmement.

Mais non pas toutesfois que les choses terribles,

Se ioignent sans propos avecque les paisibles :

Comme de voir couplez les serpens aux oyseaux,

Aux tigres furieux les dous bellants agneaux.

Tout ce doit rapporter par quelque apartenance ;

Tant qu’un fait ioint à l’autre ait de la convenance.

Comme en crotesque on voit par entremeslemens

De bestes et d’oyseaux divers accouplemens.

Dans :Grotesques(Lien)

, v. 831-834

Montre face riante en voulant que l’on rie,

Pour nous rendre marris montre la nous marrie,

Si tu veux que ie pleure il faut premierement

Que tu pleures et puis ie plaindray ton tourment.

Dans :Polos, si vis me flere(Lien)

(I), v. 1033-1042

Toutefois la fortune aux arts ne sert de rien:

Sinon qu’elle seruit à ce peintre ancien,

Lequel ayant tiré de main presque animante,

Un cheval furieux à la bouche ecumante,

Il n’en put onc l’écume representer :

Ce qui le fist cent fois à la fin dépiter :

Et jetant dédaigneux son éponge souillee,

Et de toutes couleurs du pinceau barbouillee,

Au mors de son coursier, le dedain par hasard

Fit ce que le pinceau ne peut faire par art.

Mais le beau iugement à l’art conioint, assemble

Une perfection qui les unit ensemble. [[4:suite : Apelle Antigone]]

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)